Nous l’avons tous à la bouche, ce mot d’ »inclusion », et nous y pensons tous pour nos enfants marqués par la différence. Mais faire sortir les personnes handicapées mentales des établissements médico-sociaux, les immerger à cent pour cent dans la société, citoyens parmi les citoyens : belle idée, ou fausse belle idée ?
Avant de répondre, revenons à la définition de la société inclusive.
A l’opposé de la société inclusive, il y a la société exclusive, celle qui exclut les individus indésirables, ceux qui ne nous ressemblent pas.
Une société inclusive est une société bienveillante, à l’écoute de ceux qui frappent à sa porte, et prête à s’adapter pour leur permettre de trouver leur place. Nous ne sommes pas dans une démarche de massification, qui impose sans accompagner. La société doit mettre en place les bons outils permettant l’accueil de la personne handicapée. Sans ces moyens quasi individualisés, sans ces adaptations sociétales, il n’y aura pas d’inclusion possible.
Observer le terrain, avec ambition, intelligence et humilité
Le handicap mental touche un large éventail de pathologies allant du polyhandicap au handicap intellectuel léger, en passant par des troubles plus importants du comportement. C’est pourquoi le projet d’inclusion ne peut pas être normatif. Il sera fonction de la personne, de son degré d’autonomie, de son équilibre, et de ses désirs.
C’est pourquoi la réponse à la question de l’inclusion n’est pas simple : surtout, ne rien radicaliser, ne pas théoriser. Observer le terrain, avec ambition, mais intelligence et humilité.
Depuis 70 ans, la condition des personnes handicapées mentales et psychiques a fait l’objet de nombreuses réflexions. Des réformes se sont succédé, principalement à l’initiative des parents qui ont créé des structures pour accueillir leurs enfants handicapés mentaux. Au fil des années, des lois et des politiques publiques ont permis de grandes avancées. C’est ainsi que la France s’est dotée d’un réseau d’établissements d’accueil de personnes handicapées mentales.
On a ainsi créé les foyers de vie, les foyers d’accueil médicalisés (FAM) ou les maisons d’accueil spécialisées (MAS) pour les personnes en grande dépendance, mais également les établissements et services d’aide par le travail (ESAT, anciens CAT) et les foyers d’hébergement pour les travailleurs. Des adultes déficients intellectuels avaient enfin la possibilité de fournir un travail adapté à leurs capacités, et rémunéré : pour la première fois, ces adultes pouvaient envisager de sortir de la maison familiale, où ils végétaient, s’ennuyaient, voyaient leur santé s’altérer par manque d’exercice et désoeuvrement, et devenaient lentement le bâton de vieillesse de leurs parents.
Et bien sûr, on a créé les IME, instituts médico-éducatifs, pour les enfants de 5 à 20 ans, où des équipes pluri-disciplinaires travaillent à développer au maximum le potentiel de chaque enfant.
Aujourd’hui, certains tentent de faire croire que tous ces établissements sont des « ghettos », que seule la vie quotidienne en milieu ordinaire (scolarisation à l’école du quartier, embauche dans des entreprises classiques) est un projet digne pour les personnes déficientes intellectuelles et handicapées psychiques. Que vivre parmi leurs pairs, dans des foyers, est dégradant et les empêche d’évoluer.
Voici ce que nous répondons, forts de notre expérience au quotidien :
Nous approuvons sans réserve l’inclusion sociale pour chaque personne handicapée mentale ou psychique, quel que soit son degré de handicap.
De la personne la plus autonome à la personne polyhandicapée, tous doivent bénéficier de ce que la société propose au citoyen : accès à la santé, à la culture, à la beauté, au plaisir, à la vie affective, au droit de choisir, au vote. C’est la grande mutation que les établissements doivent opérer, et à laquelle beaucoup d’entre eux travaillent déjà depuis des années.
Des voix se font entendre, qui nous blâment et nous ringardisent : qu’ils viennent voir le travail effectué dans nos établissements, les petits pas accomplis vers la vie en société par des personnes parfois sans langage ni mobilité, grâce au travail acharné, créatif, patient, des équipes.
Qu’ils viennent voir ces enfants parvenant, après deux ou trois ans d’accompagnement, à aller au cinéma ou au restaurant sans pousser de cris, fiers d’être parmi les autres. Ces familles n’en croyant pas leurs yeux des progrès accomplis. Ces commerçants du marché ravis de voir arriver leurs visiteurs hebdomadaires de l’IME en compagnie de leur éducateur. Ces enfants venant partager des temps scolaires à l’école du quartier, grâce à un partenariat entre l’école et l’IME, pour le plus grand bénéfice des enfants non handicapés.
Qu’ils viennent voir ces travailleurs d’ESAT travaillant une journée par semaine en entreprise ordinaire, partageant leur déjeuner avec les employés, ou triant des vêtements avec les bénévoles d’Emmaus…
Voilà où commence la belle inclusion, la vraie belle idée.
Nous approuvons, pour les personnes porteuses d’un handicap léger, le projet d’inclusion porté par le gouvernement, en ce qui concerne le travail et le logement.
Cette ambition est porteuse de beaucoup d’espoirs. Encore faudra-t-il que les bailleurs sociaux, les entreprises, évoluent. Il faudra que la société, les employeurs, respectent le rythme plus lent de ces personnes, leur silence parfois, leur besoin d’une aide humaine pour affronter une nouveauté… Il faudra adapter les postes de travail, prévoir des aides permanentes pour accompagner ces personnes de manière pérenne dans leurs démarches, s’assurer qu’ils ne sont pas en rupture sociale, qu’ils ne souffrent pas de solitude. Et encore faudra-t-il ne pas « plaquer » ce schéma de vie sur n’importe quel profil : certaines personnes, même ayant une bonne autonomie, préféreront garder un mode de vie collectif parce que cela les rassure et leur garantit un bien-être émotionnel.
Nous désapprouvons et refusons le « tout-inclusif » qui induit la fermeture de tous les établissements prônée par ceux qui associent la notion de « vie en institution » à celle de « perte totale de ses droits. »
Si les établissements d’hébergement doivent, certes, s’ouvrir toujours davantage à la société, ils représentent une protection, une chance de vivre avec ses pairs en sécurité, à un rythme moins effréné et agressif que la vie quotidienne des personnes non porteuses de handicap. Le « tout-inclusif » est une démarche globale qui conduirait à une régression importante de la condition de la personne handicapée.
L’école de quartier inclusive, permettant moins d’éloignement géographique et moins de ruptures pour les familles, ne peut concerner tous les enfants porteurs de handicap mental, et ne peut se concevoir sans la création au préalable de structures locales d’accueil pour les accompagner. Certaines pathologies ou déficiences ne peuvent être prises en charge en dehors de lieux spécialisés, par des personnels formés.
Et il est faux de prétendre que nos établissements isolent systématiquement leurs résidents. C’est un risque, si l’on n’y est pas vigilant, mais un grand travail est fait, depuis un certain nombre d’années, dans de nombreuses associations, pour développer des outils, et donc un état d’esprit, propres à activer l’inclusion sociale :
- le FALC (Facile à Lire et à Comprendre) qui transforme radicalement la communication écrite et orale ;
- la création de « Nous aussi », instance nationale d’auto-représentation de personnes porteuses de handicap mental ou psychique, déclinée régionalement ;
- de nombreux groupes de travail, groupes de parole et ateliers destinés à favoriser la vie affective, relationnelle et sexuelle des personnes, quel que soit leur degré de handicap, et dans un souci constant de leur épanouissement et du respect de leurs droits.
Tout cela existe, évolue, et se développe dans nos établissements. Nous en sommes fiers, et nous sommes fiers de nos équipes.
Ne fermons pas nos établissements ; ouvrons-les toujours davantage à la vie en société.